Le film Her, réalisé par Spike Jonze en 2014, raconte une histoire d’amour un peu particulière entre Theodore et Samantha, une intelligence artificielle. Dans une scène du film, Samantha et Theodore sont sur une plage, ils profitent du soleil “en amoureux”. Et ce moment inspire à l’intelligence artificielle une musique qu’elle compose et fait écouter à son amant.
Mais peut-on espérer qu’un jour la réalité dépasse la fiction ? Est-ce qu’à l’avenir, une IA pourra générer une composition, par exemple une symphonie ou un concerto véritablement original ? Est-ce qu’une machine pourra être créative ? “Ça nécessite déjà de définir ce qu’est la créativité, et d’accepter que ce concept puisse être délié de l’être humain, ce qui n’est pas forcément évident,” explique Louis Bigo, professeur en informatique à Bordeaux INP, directeur du Scrime, le Studio de création et de recherche en informatique et musiques expérimentales.
Recombiner les données d’entraînement, est-ce de la créativité ?
“Ce que font les algorithmes de génération musicale, c’est de s’inspirer des données existantes et donc de recombiner ces données à très petite échelle, de créer quelque chose de nouveau, mais à partir de quelque chose d’existant.” Ce que dit Louis Bigo ici est très important. Il parle des intelligences artificielles de “génération symbolique” : une expression très compliquée pour désigner ces IA qui génèrent, non pas de la musique directement, mais des partitions. Pour fonctionner, ces “IA compositrices” sont entraînées à partir de très grandes quantités de données.
L’idée, c’est qu’elles doivent identifier par elles-mêmes des cohérences dans ces données : des structures, des rythmes, des accords récurrents. Elles vont ensuite s’en inspirer pour générer de nouvelles compositions. Pour simplifier, on peut dire que l’IA “recombine” les données qu’elle a ingurgitées. La machine est donc douée pour apprendre des modèles, des structures et, par exemple, le style d’un compositeur : c’est ainsi qu’en 2021, une intelligence artificielle a achevé la symphonie n°10 de Beethoven, dont le compositeur n’avait laissé que quelques fragments.
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Ce projet a été mené par Deutsche Telekom et a rassemblé des experts en IA, des musicologues et des compositeurs. On ne connaît pas les détails techniques mais on sait que l’intelligence artificielle a été entraînée avec les compositions de Beethoven ainsi que les esquisses de cette symphonie. Vous pouvez écouter ci-dessus le résultat, interprété par l’orchestre symphonique de Bonn ! Les réactions ont été partagées et certains ont critiqué le fait que l’IA ne faisait jamais que “singer” Beethoven.
Le hasard pour assurer l’originalité ?
Et justement, imiter le style d’un compositeur, ou simplement “recombiner” des données existantes, est-ce que c’est être vraiment créatif ? En clair, si l’IA se base sur les modèles qu’elle a appris dans son corpus d’apprentissage, comment s’assurer qu’elle ne génère pas toujours les mêmes musiques ?
Pour pallier ce problème, les IA génératives vont parfois utiliser les probabilités et le hasard pour créer des musiques plus surprenantes : par exemple, arrivé à un point donné d’une séquence de notes, l’algorithme va tirer une sorte de dé pipé pour choisir la note suivante. “Donc en gros, dans un corpus d’apprentissage, si un do était très souvent suivi d’un ré, et bien le dé a beaucoup plus de chances de tomber sur un ré. Mais il peut également tomber sur les autres notes”, explique Louis Bigo.
Cette méthode permet de s’assurer que l’IA ne choisisse pas toujours les structures les plus fréquentes de son corpus d’apprentissage. En clair, l’idée est de la pousser à être originale, à “varier” les musiques qu’elle génère. Mais être créatif ou original, ce n’est pas laisser le hasard décider à la place de l’artiste. Il y a aussi l’intention artistique et l’émotion humaine, et ça, la machine en est dépourvue.
Alors pour le moment, une IA qui composerait une musique par amour, ça reste de la science-fiction !