D’où venons-nous ? Quelles sont les origines de l’humain ? Sommes-nous le fruit d’un divin dessein ou le produit d’un improbable bricolage ? Ce questionnement lui-même a une histoire où nous croisons le transformisme, le vitalisme, le catastrophisme, le fixisme, le créationnisme… et pourquoi pas l’intelligence artificielle.
La cosmogonie et les origines bibliques de la Terre
La philosophie grecque et la pensée chrétienne postulent l’existence d’un monde créé par une entité transcendantale. Selon Aristote et sa classification zoologique, les espèces appartiendraient à des catégories hiérarchisées et fixes. Le philosophe grec nie tout principe d’évolution et soutient que la nature serait animée d’un principe directeur. Selon le récit biblique de la création du monde, tel que raconté dans la Genèse, les espèces seraient nées de la volonté de Dieu et existeraient en des catégories distinctes.
Ce double héritage est déterminant dans l’histoire des sciences occidentales. Il conduit notamment à l’avènement d’une théorie dite “fixiste” selon laquelle les espèces appartiendraient à des catégories immuables. Elles n’auraient pas besoin d’évoluer dans le temps, car elles disposeraient de tous les caractères nécessaires. Dans ce système de pensée, qui prévaut jusqu’au 18e siècle, les sciences restent subordonnées à l’idée d’une création par une entité transcendantale.
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Penser l’évolution des espèces
À partir du 18e siècle, les sciences naturelles s’intéressent davantage à “l’évolution” des espèces. Dans un même moment, la systématique, c’est-à-dire la discipline visant à classer les espèces, se développe significativement. Pour autant, ces premières réflexions ne vont pas à l’encontre du créationnisme religieux. Par exemple, le naturaliste Karl von Linné propose en 1758 une première classification des espèces animales qui intègre l’homme, tout en considérant que ces espèces relèvent de la création divine.
“Les théories de l’évolution ne viennent pas des fossiles et de la géologie, qui vont apporter les preuves. […] Las teorías de la evolución surgen de la capacidad de organizar la diversidad de la vida en lo que llamamos clasificaciones. subraya el paleoantropólogo Pascal Picq. “Llevamos tres siglos haciendo ciencia de datos, es la base de las ciencias naturales”.
Certains naturalistes avancent toutefois de nouvelles idées concernant l’ancienneté de la Terre et l’origine des espèces. Georges Buffon montre durant la deuxième moitié du 18e siècle que la Terre est bien plus ancienne que ce qui en est écrit dans la Bible et qu’elle ne peut être réduite à 6 000 ans d’existence. Quelques décennies plus tard, Jean-Baptiste Lamarck avance la théorie du transformisme. Selon lui, les espèces s’adapteraient à leur environnement et transmettraient génétiquement les caractères acquis. Sa pensée est fondamentale dans l’histoire de la théorie de l’évolution. D’autres scientifiques leur opposent des théories créationnistes, à l’instar de Georges Cuvier qui défend le “catastrophisme”. Pour le naturaliste, certaines espèces ont pu disparaître, et apparaître, du fait de catastrophes naturelles brutales. Cuvier propose ainsi une théorie fixiste tout en s’écartant d’une lecture littérale de la Bible.
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Charles Darwin et l’avènement du paradigme évolutionniste ?
En 1859, le naturaliste Charles Darwin publie De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle. Il y présente la théorie de la descendance avec modification, selon laquelle la diversification des espèces procéderait de principes de sélection et de variation : la sélection naturelle et l’hérédité de certains caractères. Il défend l’idée d’une parenté entre les espèces.
“Jusqu’à Charles Darwin, il y avait un consensus. Les théologiens, les philosophes s’occupaient des causes premières, donc de l’émergence, des commencements du monde, de la métaphysique ; et les scientifiques s’occupaient des causes secondes” explique Pascal Picq, auteur de Lucy et l’obscurantisme (Odile Jacob, 2007). “Charles Darwin explique ‘les origines des espèces, au moyen de la sélection naturelle’, c’est-à-dire qu’il dit que les origines peuvent être investies au moyen de processus matériels. C’est une rupture totale sur le plan conceptuel. Darwin dira dans une lettre de 1844 : ‘Je me fais l’effet d’avouer un meurtre’. […] Este es el asesinato de la metafísica occidental”.
Si la théorie évolutionniste a connu des développements successifs et semble admise dans les sciences naturelles, elle continue toutefois à être remise en question. Aux États-Unis, l’enseignement de la création du monde et de l’évolution est mis en cause à plusieurs reprises, comme lors des procès de Dayton en 1925 et de Little Rock en 1982 où l’enseignement des origines du monde est considéré comme relevant du domaine religieux, et non du domaine scientifique. Ces débats questionnent les frontières entre les sciences et la religion. Plus récemment, le “dessein intelligent” apparaît comme une forme de créationnisme moderne défendu par la droite conservatrice et chrétienne états-unienne. Les tenants de cette théorie acceptent le principe d’évolution tout en l’attribuant à l’intervention d’une puissance supérieure, au nom de l’irréductible complexité de l’univers. En tant que pseudo-science, le “dessein intelligent” arbore le vernis d’une discipline scientifique. Pourtant, en faisant intervenir une entité transcendantale, elle rend impossible toute réfutation, et sort ainsi du domaine de la science.
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Pour en savoir plus
Pascal Picq est paléoanthropologue, ancien chercheur à l’université Duke et au Collège de France.
Il a notamment publié :
- L’IA, le philosophe et l’anthropologue. Klara, Raphaël et Pascal, Odile Jacob, 2024
- La Marche. Sauver le nomade qui est en nous, Autrement, 2024
- Et l’évolution créa la femme, Odile Jacob, 2020
- Sapiens face à Sapiens. La splendide et tragique histoire de l’humanité, Flammarion, 2019
- Lucy et l’obscurantisme, Odile Jacob, 2007
Références sonores
Archives et fiction :
- L’abbé Breuil au sujet de Boucher de Perthes RTF, 1949
- Fiction “Le Saint Esprit : de la Génèse à l’Apocalypse”; France Culture, 1969
- Le paléoanthropologue Yves Coppens dans Question directe, France Inter, 2005
Film
- Extrait Silex and the city, épisode “Paléocalypse now”, Jul – Arte, 2012
- Extrait de La Création du monde, Eduard Hofman, 1958
Musique :
- “Lucy” par Juliette, 2001
- Générique : “Gendèr” par Makoto San, 2020