En lisant les deux essais de nos invités, nous apprenons beaucoup de choses mais tombons aussi sur bien des mots comme le manifesting, le slashing, les soft skills, les hard skills, les fresqueurs, les fresqueuses, le reporting, le back-office le burn-out, mais aussi, le brown-out et le bore-out. Tout une terminologie nouvelle qui témoigne du remplacement de la langue française par le globish (global english) et, pour ainsi dire, du malaise grandissant dans l’entreprise. Pour définir ces mots nouveaux, pour débattre de ce malaise en entreprise aujourd’hui, Alain Finkielkraut reçoit les essayistes, Julia De Funès – auteure de La Vertu dangereuse : les entreprises et le piège de la bien-pensance – et Jean-Laurent Cassely qui a fait paraître La Révolte des Premiers de la classe, et avec Jérôme Fourquet, La France sous nos yeux.
“Le monde de l’entreprise s’humanise, s’adoucit, s’assouplit. Télétravail, semaine de quatre jours, management participatif… Les sociétés s’ouvrent à plus d’autonomie et de confiance. On ne peut que se réjouir de ces libertés nouvelles. Mais gare à l’ “empire du bien” et au piège de la bien-pensance, prévient Julia de Funès, dans La Vertu dangereuse : les entreprises et le piège de la bien-pensance ;
Quand Jean-Laurent Cassely lui, constate, depuis le premier confinement, une désertion progressive des jeunes cadres salariés, dans La Révolte des Premiers de la classe : “Vous vous ennuyez au travail malgré de bonnes études ? Vous vous sentez inutile ? Rassurez-vous, vous n’êtes pas seul. Chez les jeunes diplômés les défections pleuvent et la révolte gronde : démissions, reconversions, engagement pour le climat et exode urbain sont les signes annonciateurs d’une société qui entre massivement en quête de sens”.
Allons donc des mots aux choses : qu’entend-on par manifesting, par slashing, ou brown-out ?
Julia de Funès définit les anglicismes qu’on retrouve nombreux dans son livre. “Pour le définir, le “manifesting”, c’est l’activité qui repose sur l’idée que nos pensées, nos intentions vont réaliser nos désirs. Comme si la volonté était un principe de pouvoir absolu, comme si nous n’étions pas traversés par des influences, des désirs, des passions qui nous déterminent autant que notre volonté. C’est un peu, si vous voulez, la méthode Coué, mais nouvelle version, c’est-à-dire je visualise vraiment des actions, je visualise mes désirs et puis, je répète dans ma tête des phrases qui vont aller dans le sens de cette réalisation du désir – comme si la réalisation de nos désirs était le résultat d’un itinéraire strict et contrôlable de A à Z. Enfin, c’est oublier toutes les dimensions humaines et involontaires qui sont à l’œuvre dans la réalisation de nos désirs”.
“Le slashing, ça vient du slash. Vous savez, ce symbole, la barre qui est sur les claviers d’ordinateur. Les slasheurs, le slashing, c’est vraiment cumuler de manière simultanée diverses activités professionnelles. On est à la fois guitariste, écrivain”, par exemple.
Quant au brown out, c’est l’absence de sens. “On voit les choses de manière confuse, brown, opaque, si vous voulez. Ça s’explique, cette crise de sens, par plusieurs facteurs. c’est une dé finalisation des métiers. Et je crois que ça s’explique aussi par la technicisation accrue des tâches. Les entreprises sont bien obligées de se moderniser, de se techniciser en permanence. Une entreprise qui n’innove pas, elle meurt aujourd’hui. Donc, les métiers se technicisent énormément, mais la technique, c’est le moyen. Le sens, c’est la finalité. Et quand vous demandez aux gens aujourd’hui ce qu’ils font, la plupart du temps, vous ne comprenez plus rien tellement les métiers sont devenus techniciens”. Julia de Funès
Du reporting au team building, en passant par le coaching ou le rétro-planning ou encore, le personal branding
Tous ces mots anglais en “ing”, explique Jean-Laurent Cassely, nous viennent du monde du management moderne. Nous avons tous été plus ou moins contaminés par ce vocabulaire managérial qui est anglo-saxon à l’origine. “Il a été propagé notamment par les écoles de commerce, les business schools, vers lesquelles s’orientent de plus en plus de jeunes étudiants français. Et il est vrai qu’aujourd’hui, ce vocabulaire s’est diffusé même au-delà de la sphère de l’entreprise et de la sphère managériale pour être appliqué à la vie quotidienne. Les gens parlent souvent de gérer leur vie en mode projet, de manager leur couple, leurs vacances. Quand vous partez en week-end entre amis, il faut faire un formulaire sur Google, un sondage en ligne. Prendre une application pour répartir les coûts de telles activités. Donc, c’est vrai qu’il y a vraiment une sorte de managerialisation du monde, de la vie”.
“Un peu coachs, un peu experts en marketing, vaguement journalistes ou influenceurs, ils sont un peu tout ça à la fois : ils sont une figure contemporaine de la réussite sociale” (JL Cassely)
“Et si je prends le personal branding, c’est le fait de se vivre soi-même comme personne, comme une marque sur un marché des compétences et du travail concurrentiel. Et vous voyez aujourd’hui sur Internet, sur les réseaux sociaux, tout un tas de gens qui se disent entrepreneurs. qui vont vous expliquer via le personal branding comment devenir un meilleur individu, réussir dans votre carrière, mais aussi dans tous les domaines de votre vie. Et ces gens sont un peu des coachs, un peu des experts en marketing, vaguement journalistes ou influenceurs, ils sont un peu tout ça à la fois. Je dirais qu’ils sont une figure contemporaine de la réussite sociale, de la réussite professionnelle“. Jean-Laurent Cassely
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