Suite de nos comptes-rendus, chaque samedi matin, des débats dans le procès de l’assassinat de Samuel Paty. Après la première semaine consacrée aux accusés et aux victimes, la deuxième plongée au cœur du collège du Bois d’Aulne et la troisième centrée sur les deux complices présumés de l’assassin.
“Sans mon mensonge, personne ne serait là aujourd’hui”
Derrière elle, une salle comble. La jeune collégienne à l’origine du mensonge sur la présentation des caricatures de Mahomet dans le cours de Samuel Paty est la première de la famille Chnina à se présenter à la barre. Cette fois, dans le rôle du témoin. Elle a été jugée et condamnée à 18 mois de prison avec sursis probatoire en décembre dernier par le tribunal pour enfants, pour dénonciation calomnieuse. Une audience à huis clos, mais dont les avocats de parties civiles dévoilent les grandes lignes : l’adolescente aurait alors parlé d’une “fatwa numérique” déclenchée par son père.
Tout autre discours aujourd’hui. Cette fois, c’est son père qui est dans le box des accusés et elle assume, seule, le mensonge “réitéré à de nombreuses reprises”, durant ces neuf jours d’engrenage qui ont précédé l’assassinat de Samuel Paty. Présente ses excuses à la famille du professeur, à la sienne – et les pleurs gagnent- à son père et aux autres accusés : “Sans mon mensonge, personne ne serait là aujourd’hui.” “Emprisonnée dans votre mensonge ? suggère presque doucement le président. Vous étiez petite…” Elle avait 13 ans et demi à l’époque des faits. Elle est désormais lycéenne de terminale et ne vit plus dans sa famille.
“On s’est fait manipuler par notre fille”
“De tous mes enfants, c’est la seule où j’ai eu un loupé” enchaîne sa mère sans détours. Elle s’est d’abord excusée du comportement de sa fille. Elle en a six, “Brahim les appelle ses princesses” glisse-t-elle. Toutes sont venues, serrées sur le même banc de la salle d’audience. “On s’est fait manipuler par notre fille”, répète-t-elle et après elle, sa fille aînée, major de sa promo en master, “mon père m’a toujours poussée dans mes études, ce diplôme j’en suis fière et je lui dois.”
“Et vous pensez que deux adultes peuvent être manipulés par une enfant de 13 ans ?” intervient Vincent Berthault, avocat de parties civiles. “La preuve en est aujourd’hui, répond la jeune femme. Elle a bien caché son jeu. On lui en veut tous et toutes de ce comportement injustifiable. J’aspire à ce qu’elle devienne une meilleure personne.”
“L’accabler, en disant qu’elle a manipulé tout le monde ne vise pas plutôt à disculper votre compagnon, votre père ? Pas du tout, car je pense qu’il est innocent” réplique sa compagne. Insiste sur le fait qu’il ait voulu dénoncer une discrimination, et non pas la diffusion des caricatures. “On s’en foutait complètement des caricatures, ajoute-t-elle. A part, elle hésite un peu, que le prophète, il était nu…“
Discrimination ou refus des caricatures ?
Entre cette supposée discrimination de certains élèves reprochée à Samuel Paty et la diffusion en classe des caricatures de Mahomet, il y a bien davantage qu’une nuance. Un enjeu pour le procès et les accusés mais d’abord un positionnement militant et politique, que la jeune compagne d’Abdelhakim Sefrioui s’emploie à creuser et à défendre. “En tant que musulman, on est forcément blessé des caricatures mais ce n’est pas un événement en soi. On a condamné fermement les attentats de Charlie” rappelle la jeune doctorante de 34 ans, tunique et foulard blancs, master 2 de philosophie à la Sorbonne, qui revendique avec assurance ses positions de militante pro-palestinienne. Elle a d’ailleurs rencontré le fondateur du collectif Cheikh Yassine au cours des manifestations auxquelles elle participait. Avec cette fois, le soin d’un distinguo entre virulence et violence. “J’ai vu un homme de foi et de conviction, mais radical, non. La sphère terroriste, il n’y est pas connecté intellectuellement. Il est totalement innocent.” L’audition se poursuit, elle de plus en plus sur la défensive face aux questions de l’accusation et des parties civiles, s’insurge contre le rôle qu’on attribue à son compagnon. “Disproportionné et inexistant. Sa vidéo, le tueur ne l’a pas vue. Il n’a aucun lien avec le crime.”
Reste une question posée intentionnellement par la défense : “Il a déjà été violent avec vous ? Non, je l’aime pour sa douceur avec moi.” La fille de l’accusé a dénoncé au cours de l’instruction des violences physiques et verbales sur elle et ses frères. Jugée trop fragile pour venir au procès car souffrant d’un syndrome post-traumatique, concluent les certificats médicaux qu’elle a produits pour ne pas avoir à se présenter à la barre des témoins. La cour n’a pas jugé opportun de délivrer un mandat d’amener comme le réclamaient les avocats de son père. Le président lira plus tard sa déposition à l’audience.
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