Le film qui a fait le plus d’entrées en 2023 en Corée du Sud s’appelle « 12-12, The Day ». Il raconte l’histoire véridique d’un coup d’état militaire en 1979. Hier, les Sud-Coréens ont eu le sentiment de vivre le remake de ce film, au point que sur les réseaux sociaux, l’affiche de « 12-12 » est ressortie, mais avec la tête du président sud-coréen à la place de l’acteur principal.
Les événements d’hier à Séoul dépassent de loin le cinéma. Et à l’arrivée, la société sud-coréenne a démontré que la démocratie était bien ancrée dans le pays, et ne se laissait pas manipuler.
Tout a commencé lorsque le président sud-coréen, Yoon Suk-yeol, a pris la parole pour décréter la loi martiale, avec suspension du parlement, censure de la presse, interdiction des rassemblements. Il l’a justifié en invoquant la menace d’une opposition favorable selon lui aux communistes de Corée du Nord.
L’armée est aussitôt passée à l’acte, mais rien ne s’est produit comme prévu : le coup de force du président a pour l’instant échoué.
Le Président Yoon, un ancien procureur général ultra-conservateur, élu en 2022, a fait l’unanimité contre lui : personne n’a accepté ses explications. Y compris le chef de son propre parti qui a qualifié la loi martiale d’anticonstitutionnelle.
Bravant l’interdit, les députés se sont précipités au Parlement, et il leur a fallu escalader les barrières pour entrer. Et ils ont voté, par 190 voix contre zéro, un texte abolissant la loi martiale décrétée deux heures plus tôt par le Président.
La population est de son côté descendue dans la rue, spontanément et à l’appel de l’opposition ; des dizaines de milliers de personnes ont rendu impossible toute tentative de l’armée de faire respecter la loi martiale, tandis que les syndicats décrétaient la grève générale. Un seul slogan dans la foule : la démission du Président Yoon, abandonné y compris par ses partisans.
Pourquoi cette crise ? La Corée du Sud est une relativement jeune démocratie. Après la guerre de Corée, en 1953, la partie sud de la péninsule, soutenue par les États-Unis, a vécu sous des régimes militaires dictatoriaux. La démocratie n’a été conquise qu’à la fin des années 80, parallèlement au décollage économique du pays.
Misérable au sortir de la guerre, la Corée du Sud est aujourd’hui la onzième puissance économique mondiale, avec un revenu par habitant qui se rapproche de la moyenne européenne. Elle s’est imposée grâce à ses grands conglomérats comme Samsung ou Hyundai, et son soft power, la musique K-pop, son cinéma ou ses séries.
Pourquoi le président Yoon a-t-il agi de manière aussi brutale ? Il est en chute libre dans les sondages après des scandales, l’opposition contrôle l’Assemblée et bloque l’adoption du budget, et le climat régional est menaçant avec le voisin du nord. A-t-il cru qu’il serait accueilli comme un « sauveur » ? Il s’est bien trompé et ça risque de lui être fatal.
En ces temps de doute politique mondial, les événements d’hier sont une bonne nouvelle qui montrent que c’est lorsqu’on risque de la perdre qu’on est le plus attaché à la démocratie. Et qu’on est prêt à se battre pour la sauver.