C’est l’acte de vengeance le plus audacieux commis par le SBU, les services secrets ukrainiens. L’assassinat hier à l’aube, du général Igor Kirilov, chef de la division des armes chimiques et bactériologiques de l’armée russe, est un acte de guerre transgressif qui vise le cœur de l’appareil militaire russe, au sein même de sa capitale, Moscou.
Le général Kirilov sortait de son immeuble à 6h du matin, en compagnie d’un collaborateur, lorsque les deux hommes ont été tués sur le coup par l’explosion d’une trottinette piégée. On ignore comment l’explosion a été télécommandée.
Ce qui est certain, c’est la signature du SBU. Les services ukrainiens ont confirmé être à l’origine de l’assassinat ciblé. La veille, ils avaient publié la photo d’Igor Kirilov en l’accusant d’être à l’origine de l’usage de produits chimiques interdits sur le champ de bataille, qui ont envoyé quelque 2000 soldats ukrainiens à l’hôpital avec des malaises.
L’usage d’armes chimique est interdit par les traités internationaux, depuis les ravages de la première guerre mondiale. Le régime syrien déchu de Bachar el-Assad s’était illustré par leur usage contre les populations civiles, en toute impunité.
Pourquoi l’Ukraine a-t-elle choisi le moyen de l’assassinat ? Pour deux raisons : d’abord parce que l’exemple syrien montre qu’il est impossible de faire condamner un pays qui viole le droit international lorsqu’il est protégé par le véto d’un membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Ensuite, parce que l’Ukraine veut à tout prix porter la guerre au cœur de la société russe, pour qu’elle en ressente aussi les effets alors que les villes ukrainiennes sont bombardées quotidiennement par les missiles et les drones russes. Elle a multiplié les attaques de drones sur des infrastructures russes parfois très éloignées de son sol ; elle a poussé les Américains à l’autoriser à utiliser leurs missiles à moyenne portée pour frapper des cibles militaires en Russie ; et enfin, elle a conduit quelques assassinats ciblés depuis deux ans.
Les premiers ont visé des agents de la propagande russe. Darya, la fille de l’idéologue ultranationaliste Alexander Douguine, a ainsi été tuée dans un attentat à la voiture piégée en 2022. Des experts militaires ont aussi été visés par ces assassinats. Mais jamais aussi haut dans la hiérarchie depuis bientôt trois ans de guerre totale.
La Russie promet déjà des représailles rapides. Mais le mal est fait, les services ukrainiens ont fait la preuve de leur capacité à frapper un officier supérieur aussi important, au cœur de la capitale. La peur est aussi une arme, de vengeance et de pression.
Mais on comprend bien aussi que chaque camp fait monter les enchères à l’approche de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, et son intention de provoquer des négociations. A la peine sur les fronts de l’Est, l’Ukraine montre qu’elle n’est pas dans un esprit de capitulation.
Du côté des Occidentaux, un assassinat ciblé à Moscou est plus difficile à assumer ; même s’ils partagent l’opinion des Ukrainiens sur le personnage du général Kirilov, qui avait accusé les Occidentaux de préparer des armes chimiques, alors que c’est lui qui en a ordonné l’usage. Ils n’assument pas, mais ne désavouent pour autant l’Ukraine – car c’est elle qui se bat, le dos au mur, avec les handicaps du soutien mesuré de ses alliés.