Un rapport très attendu sur la biodiversité sera publié mardi 17 décembre par l’IPBES, un groupe international de scientifique de référence, surnommé le “Giec de la biodiversité”. Il doit confirmer l’effondrement de notre écosystème à travers le monde.
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**Parmi les disparitions les plus inquiétantes, il y a celle des insectes pollinisateurs pourtant indispensable à la production alimentaire mondiale. La star est évidemment l’abeille. Une petite bête mais rend un immense service. Car ces insectes servent d’intermédiaire en bourdonnant de fleur en fleur. Ils transportent le pollen et aident les plantes à se reproduire.
Des abeilles plus efficaces que les intrants
Pour comprendre leur importance, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ont étudié des parcelles de colza avec deux approches. D’un côté, il y avait les abeilles, et de l’autre côté, les produits phytosanitaires. Le résultat est sans appel. Les insectes surpassent l’efficacité des pesticides qui leur font tant de mal. “Quand elles sont présentes en très grand nombre, les abeilles sont en capacité d’augmenter les rendements, explique le chercheur Vincent Bretagnolles, et pas seulement de manière marginale, puisqu’on a démontré que cette augmentation de rendement pouvait atteindre 30%, voire 40%. C’est absolument considérable.”
Des abeilles même plus rentables que les produits phytosanitaires. “La solution abeille est largement gagnante par rapport à la solution des intrants. Ça dépend du coût des intrants. Mais grosso modo, quand un agriculteur a la capacité d’avoir 100 fois plus d’abeilles dans sa parcelle, non seulement, il augmente ses rendements, mais il augmente aussi son revenu de 100 à 200 euros par hectare.”
Cet exemple concerne le colza, mais ce n’est pas la seule culture qui profite des services des abeilles : il y a le café que vous buvez le matin, le cacao, la vanille, les courges et de nombreux fruits. Ainsi, de 60% à 80% des plantes cultivés sont très dépendantes des insectes pollinisateurs.
“Du travail et beaucoup de surveillance”
Une dépendance qui concerne aussi le kiwitier. À Léren (Pyrénées-Atlantiques), près de Dax, Pierre Lassalle, producteur de kiwi, est désormais apiculteur avec ses onze ruches dont il s’occupe chaque jour. “C’est du travail et beaucoup de surveillance, résume le néoapiculteur. Il faut faire attention qu’elles n’aient ni trop chaud ni trop froid, et qu’elles aient toujours à manger.”
Mais ses 500 000 abeilles le lui rendent bien le printemps venu : “Le kiwi a des fleurs mâles et des fleurs femelles, explique l’agriculteur. On est forcément obligé de croiser les fleurs pour avoir des fruits, donc les abeilles sont essentielles. Je les amène devant mes kiwis quand ils sont en floraison. Les abeilles font leurs affaires et pollinisent mes fleurs. Si pas d’abeilles, pas de fruit.”
Pour cohabiter avec ses insectes, Pierre Lassalle a donc abandonné pesticides comme herbicides. Il faut faire des compromis comme supprimer ou bien utiliser plus intelligemment les intrants, confirme Fabien Skiba de Maisadour. Cette coopérative a formé à l’apiculture une trentaine de producteurs de la région. “Si on a des abeilles, il faut appliquer par exemple les produits quand les abeilles ne sont pas dehors, explique Fabien Skiba. Donc, à partir du soir et jusqu’au petit matin. Il y a par exemple une balance connectée. Une de ces ruches est mise sur une balance et ça permet de suivre sur son smartphone les entrées et les sorties des abeilles dans la ruche. Ça a des contraintes mais qu’il faut respecter pour que tout se passe bien.”
Une méthode sans pesticides à combiner avec l’agroforesterie, le retour des haies dans les champs pour abriter un maximum de pollinisateurs. Car il n’y a pas que les abeilles, des milliers d’autres espèces participent à la production de ce que nous mangeons chaque jour.
De l’abeille à la mouche
Certaines de ces espèces sont exposées dans la grande galerie de l’évolution au Muséum national d’histoire naturel de Paris. Nous y retrouvons Emmanuelle Porcher, écologue, devant les hautes vitrines consacrées aux fourmis, papillon, guêpes, bourdons et même à la famille des mouches, indispensable à certaines de nos cultures : “Elles sont beaucoup plus discrètes. On les distingue par le fait que, contrairement aux abeilles, elles n’ont qu’une paire d’ailes. Mais elles peuvent contribuer énormément à la pollinisation également. Par exemple, les mouches jouent un rôle très important dans la pollinisation des carottes. “
Mais cette chercheuse alerte sur les populations d’insectes qui s’effondrent dans le monde entier, principalement à cause des pesticides. Leur disparition serait catastrophique et bouleverserait notre alimentation prévient Emmanuelle Porcher : ” On peut sûrement survivre sans pollinisateurs, mais dans des conditions qui sont bien pires que celles qu’on connaît actuellement, et notamment avec des régimes alimentaires complètement déséquilibrés.”
“Les pollinisateurs étant indispensables pour la reproduction des plantes, ça va modifier complètement le fonctionnement de la planète, avec des conséquences qu’on a du mal à anticiper mais qui seront très désagréables pour nous.”
Nous en avons déjà un aperçu dans certains vergers de la vallée du Sichuan en Chine. Les pollinisateurs y ont été éradiqués par les pesticides. Ce sont donc des ouvriers, surnommés les hommes abeilles, qui les remplacent. Avec leurs pinceaux, ils transfèrent eux-mêmes le pollen d’une fleur à l’autre pour qu’elle puisse donner des fruits dans ce monde sans insecte.