En 2017, 60 000 négatifs du mystérieux photographe sud-africain Ernest Cole sont découverts dans un coffre de banque, en Suède. Comment sont-ils arrivés là ? A ce jour, personne ne le sait vraiment. Cependant, ce qui est sûr c’est que malgré son silence, Ernest Cole n’a finalement pas arrêté sa photographie à House of Bondage, l’ouvrage qui l’a rendu célèbre. Il semblerait qu’il ait sillonné des années durant, les rues américaines, appareil en main, pour prendre des clichés de la ségrégation raciale encore vivace dans cette société vendue au monde entier comme le royaume de la liberté.
Ernest Cole, l’œil précoce posé sur l’apartheid
La création de House of Bondage aura pris presque dix ans à Ernest Cole. Dix ans à prendre en secret des photographies de l’apartheid, à assembler ses négatifs, les protéger puis en rédiger des textes explicatifs. Et pourtant, le livre a paru en 1967, alors que le photographe n’avait encore que 27 ans.
“Lorsqu’il était encore très jeune, Cole a été séduit par un livre de Cartier Bresson, Les gens de Moscou. Il y a trouvé son ambition, son rêve. Je crois qu’il y admirait aussi son regard sur l’humanité, cette manière d’observer avec une certaine distance le monde, ainsi que cette possibilité de s’évader et de parcourir le monde pour le photographier. En réalité c’est ce qui l’a toujours intéressé : commenter la condition humaine. Alors il a commencé par ce qu’il se passait chez lui.”
Comme une étrange coïncidence, c’est à peu près au même âge que Raoul Peck est pour la première fois entré en contact avec le travail du photographe :
“Mon premier souvenir de lui date de mes 17 ans, à Berlin alors que j’y étudiais. Berlin était une ville très politisée à cette époque et mes aînés utilisaient des photos de Cole comme outil de lutte pour la libération de pays comme l’Afrique du Sud ou même Haïti. Les photos de Cole documentaient pour la toute première fois la barbarie de l’apartheid. Mais à ses débuts je pense qu’il s’agissait d’abord pour lui de documenter ce qui l’environnait, même si je pense qu’il était clair pour lui qu’il ne pourrait jamais exploiter ses photos en Afrique du Sud.”
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Une voix rendue à l’artiste
Tout au long du film, Peck agence les photos de Cole en les commentant à la première personne. La magie s’opère alors : sous la voix du réalisateur, Ernest Cole lui-même retrace son histoire.
“J’ai décidé de laisser Ernest Cole raconter sa propre histoire pour lui rendre la parole, le laisser reprendre contrôle de son destin. J’ai fait un documentaire où les experts n’intervenaient pas pour laisser la main à Cole. Pour écrire la partie des textes qu’il n’avait pas écrit mais que je lui fais incarner, je me suis appuyé sur près de 80 témoignages et sur le langage qu’il développe dans House of Bondage, son unique livre. Je n’ai inventé aucune information, j’ai simplement replacé des faits que nous jugions crédibles dans la voix rendue à Cole.”
Cependant, bien qu’il se réclame d’un art objectif, Peck ne s’empêche pas pour autant de laisser infuser sa propre expérience dans ses œuvres.
“Mes parents ont connu l’exil, moi je les ai suivis en grandissant partout où ils allaient. L’exil, je l’ai plus vécu à travers mes compatriotes haïtiens que je rencontrais. J’ai pu observer comment il pouvait les briser, surtout lorsqu’ils n’étaient pas les bienvenus dans leurs pays d’accueil. C’est donc quelque chose que j’ai très vite identifié dans la déchéance d’Ernest Cole à son arrivée à New York. Nous avons beau quitter notre pays, lui ne nous quitte jamais. L’idée était aussi de ne pas faire de ce film une simple biographie, mais de dépeindre l’histoire de toute une génération d’artistes exilés. Pour que les émotions passent, il faut s’impliquer soi-même. Il est hors de question d’être neutre, et puis de toute ma vie je n’ai pas eu le choix d’être neutre.”
Le film sortira en salle dès le 25 décembre 2024.
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Extrait sonore
- Extrait de la bande d’annonce du film Ernest Cole, lost and found, photographe de Raoul Peck, 2024