Ce sont deux petits livres intitulés respectivement “Fan Mail” et “Chère Dr Mueller” – le premier est un récit épistolaire, le second la compilation d’articles écrits pour le magazine East Village Eye, deux textes courts mais denses qui rendent vie à cette figure passionnante de l’underground américain des années soixante-dix et quatre-vingt, probablement une de ses figures les plus drôles surtout, y compris dans le pire : et cette dynamique là, une sorte de comique fulgurant dans la tragédie de l’existence, ces deux petits ouvrages la saisissent particulièrement bien.
Alors qui est Cookie Mueller? Si vous connaissez le travail de Nan Goldin, vous l’avez probablement vue au détour de ses photographies. Si vous connaissez le cinéma de John Waters, vous avez vu sa silhouette longue, cheveux blonds et des yeux immanquablement accentués d’épais traits d’eye liner noir. Cookie Mueller, née à Baltimore en 1949, morte du Sida en 1989 a choisi très tôt une vie de bohème hippie puis elle est devenue une icône du milieu avant-gardiste new-yorkais. Une sacrée personnalité, qui a touché un peu à tout, art, fête et drogues.
Les éditions Finitude avait déjà publié deux recueils de nouvelles il y a quelques années aux titres formidables “Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir”, et “Comme une version arty de la réunion de couture”, mon préféré. Elles font paraître ce mois-ci là deux petits ouvrages traduits par Romaric Vinet Kammerer. Le premier compile des échanges avec les lecteurs d’un journal pour lequel elle s’était improvisée docteur, ce qui, quand on connaît le mode de vie de Cookie Mueller, ne manque pas d’interpeller. A des lecteurs qui lui demandent plus ou moins sérieusement comment atténuer l’acné, quel aphrodisiaque utiliser, ou plus étonnamment comment faire en sorte que les ongles ne poussent plus, elle répond quasi invariablement qu’il faut manger des noix et prendre de la vitamine C. Entre ces conseils dont on ne sait jamais s’ils sont vraiment sérieux ou extravagants, l’autrice intercale des réflexions ou des conseils sur la grande épidémie en cours et qui décime le milieu auquel elle appartient, dont on comprend à quel point elle était alors mal documentée, mal expliquée. Se dit quelque chose, y compris dans l’ignorance et la maladresse de Cookie, de la perplexité tragique dans laquelle le sida a plongé toute une population.
Stand up !
Pas drôle me direz-vous mais étonnamment ça l’est quand même, un peu amèrement – et de toutes façons on peut ensuite se consoler en lisant les quelques pages de “Fan Mail”, que je recommande plus chaudement. C’est un petit roman par lettres qui met en scène d’abord un certain John Morton écrivant à une certaine Georgia Banks, actrice de son état, je cite le début : “Tu ne te rappelles peut-être pas de moi, maintenant que tu es devenue une star de cinéma mais on a tiré un coup il y a de ça environ huit ans. T’avais été géniale. Moi aussi d’ailleurs, ça te revient?”. Pas de réponse de Georgia alors Morton contacte un copain qui se trouve non loin d’un tournage, et dérivant ainsi, en quelques pages seulement, Fan Mail relie dans une boucle une petite communauté d’hurluberlus qui s’écrivent ou s’appellent, parmi lesquels une fille qui vend ses meubles pour se payer sa came et essaie même de refourguer son propre héritage à sa sœur, une riche héritière dont les faux cils ont disparu dans les liftings successifs qui tombe raide dingue d’un vieux de la banlieue de Baltimore addict au jeu, une jeune italienne, nouvelle fiancée de Morton qui ne cesse de lui parler de Georgia Banks, et dont le travail à Naples consiste à recoller sur des statues leurs attributs masculins châtrés par l’Eglise.
C’est comme un précipité de l’esprit de Cookie Mueller, drôle, hyper vulgaire, une forme de tragique burlesque, et une fantaisie ramassée en quelques lignes, avec un rythme trépidant. Je parlais lundi d’un documentaire sur le stand-up ; l’écriture, la posture de Cookie Mueller écrivaine me font penser à ça : un humour de l’ordre de la performance, parfaitement maîtrisée.