On date l’entrée d’Annie Ernaux en littérature avec la publication de son roman autobiographique « Les armoires vides » en 1974. 50 ans de publication donc, lorsque nous la rencontrons chez elle pour faire le portrait de sa bibliothèque. Dans le discours qu’elle prononça lors de la remise du prix Nobel qui consacra son œuvre, elle rappelait que les livres avaient été pour elle des compagnons de toujours. Elle rappelait aussi que ce goût de la lecture avait été entretenu par sa mère, qui la préférait un livre à la main plutôt qu’à coudre ou à tricoter. Elle disait, enfin, avec la malice et la lucidité qu’on lui connaît, que la cherté de ses livres, la suspicion dont il faisait l’objet dans son école religieuse, les lui rendait encore plus désirables. « Désirable », c’est le dernier adjectif qu’elle utilise ce soir-là pour parler de l’œuvre de Virginia Woolf, une des autrices qu’elle a choisi de partager avec nous.
Marcel Proust, “A la recherche du temps perdu”
Volume 4 Sodome et Gomorrhe, “Les intermittences du cœur”, 1921 (Gallimard)
“J’ai choisi un texte un peu plus complexe que la Madeleine. C’est un moment où le narrateur, en se baissant pour délasser ses bottines alors qu’il est malade, est, d’un seul coup, submergé par le souvenir de sa grand-mère qui s’était penchée de la même façon, sur lui, pour le réconforter un jour qu’il était souffrant. C’est tout le chagrin qu’il n’a pas éprouvé à la mort de sa grand-mère, qui, d’un seul coup, l’envahît. Ce qui est important c’est la manière dont il analyse les raisons, il essaye de percer le mystère du retour du chagrin. (…) Je suis peut-être infiniment plus sensible à ce qu’il y a de perte et de vide chez Proust que le plaisir qui, de toute façon, est toujours un peu mélangé.”
Virginia Woolf, “La Promenade au phare”
trad. Maurice Lanoire, 1929 (Stock) – paru en 1927 dans sa version originale
“Il y a, dans La Promenade au phare, un enfant appelé James, qui veut aller au phare. Et le père lui dit, non, il va pleuvoir demain. Et on a pendant, je ne sais combien mais c’est très long, la description de la soirée dans cette maison un peu délabrée, qui est une maison de vacances où la famille invite beaucoup de monde. Donc il y a cette soirée où Mrs. Ramsey est le centre, parce que c’est elle qui s’occupe de tout dans cette maison, notamment du repas. Et Virginia Woolf nous fait entrer dans une conscience, mais pas seulement la sienne, celle d’autres personnages aussi. Et à travers elles, c’est toute la condition humaine qu’on voit.”
André Breton, “Nadja”
Nouvelle Revue Française (RNF), 1928
“J’ai choisi le moment où André Breton va rencontrer Nadja. Il se promène dans Paris et cette rencontre va être le début de faits glissades, des faits précipices, c’est-à-dire cette rencontre avec le hasard objectif. Il a l’impression que quelque chose lui parle du monde extérieur, parce qu’au fond c’est ça, c’est comment la nécessité du monde extérieur rencontre la nécessité intérieure, c’est ça le hasard objectif.”
Nathalie Sarraute, “Tropismes”
1939 (Denoël) – recueil de textes en prose
“Dans Tropismes, Nathalie Sarraute donne de l’importance à quelque chose qui n’avait jamais été exprimé, et qui reste d’ailleurs extrêmement ténu et auquel elle a donné le nom de tropisme. Qu’est-ce que le tropisme ? En sciences, c’est le mouvement des plantes vers la lumière. C’est un mouvement qui n’est pas déterminé par la volonté. Et Sarraute l’emploie pour décrire ces moments où l’on éprouve quelque chose de très fugace, qu’on pourrait dire un creux dans le temps, ou bien quand on est seul, dans l’attente, ou bien dans une conversation. Il y a une sorte de petit dysfonctionnement, dirais-je, quelque chose de cet ordre-là. Toute son œuvre est fondée sur cela et je pense qu’elle a trouvé là quelque chose qu’on n’a pas vraiment encore exploité.”
Georges Perec, “W ou le souvenir d’enfance”
1975 (Denoël)
“Dans W. ou le souvenir d’enfance, Georges Perec part d’un fantasme qu’il a enfant, c’est l’invention d’une île, qui se trouve sur la terre de feu. Et dans cette île, il y a des jeunes. Le but, c’est la compétition sportive : plus vite, plus haut, plus fort. Le livre rassemble des descriptions qui alternent entre le fantasme, c’est W, et ce qu’il a comme souvenirs, très lacunaires, de son enfance. Et il y a une progression : W devient, peu à peu, un endroit terrible. Non seulement ils ne vont pas plus haut, plus fort, mais ils se traînent dans des compétitions ridicules. Et évidemment, on comprend peu à peu, que c’est l’univers concentrationnaire que Perec est en train de décrire.”
Carson MacCullers, “Frankie Addams”
trad. Marie-Madeleine Fayet, 1949 (Stock) – parution en langue originale en 1946
Références musicales
- Georges Delerue, “Agnès frightened”
- Lars Danielsson Trio, “Le Calme au château”
- The Malombo Jazz Men, “Zandile” Roger & Brian Eno
- “Spring Frost” John Cale, “The Academy in Peril”
- William Basinski, “Cascade 1.2”
- Klaus Schulze, “Infinity Pt#1 and #2”
- The Last Dinner Party, “Caesar on a TV screen (acoustic)”
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