Vendredi 22 novembre, avec la nomination du secrétaire d’État à l’agriculture, Donald Trump a complété son futur cabinet. La liste est édifiante à plus d’un titre, mais les nominations aux postes clés pour la santé sont peut-être les plus remarquables : Robert F. Kennedy, un anti-vax et relais de théories du complot, est pressenti pour être secrétaire d’État à la santé ; Martin Makary, un proche de Kennedy, sera sans doute à la tête de l’agence de la FDA, l’agence qui régule la nourriture et les médicaments.
Un incident tragique illustre bien les actions de Kennedy. Il est en effet impliqué dans l’une des pires épidémies de rougeole de mémoire récente. En 2018, deux nourrissons des îles Samoa sont morts lorsque des infirmières ont accidentellement mélangé la poudre du vaccin contre la rougeole avec un relaxant musculaire plutôt qu’avec de l’eau. Le gouvernement samoan a temporairement suspendu le programme de vaccination, et les anti-vax, dont Kennedy et son organisation, le Centre pour la défense des enfants, se sont engouffrés dans cette brèche pour lancer une campagne massive de désinformation sur Facebook. Après une enquête, le gouvernement a relancé le programme, mais le taux de vaccination est tombé à un niveau dangereusement bas. L’année suivante, lorsqu’un voyageur a apporté la rougeole dans les îles, la maladie a ravagé la population, rendant malades plus de 5 700 personnes et en faisant 83 victimes, de jeunes enfants pour la plupart.
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Kennedy est avocat, ni médecin ni scientifique, mais, selon ses dires, il sait “lire les articles de science tout seul”. Sa marque de fabrique est le déni de réalité : ses opinions sont inamovibles, quoi qu’en disent les faits. D’après lui, le SIDA n’est pas causé par le VIH, les adjuvants ajoutés aux vaccins causent l’autisme, l’ivermectine est un traitement efficace contre le COVID, etc. À ce déni de la science, il faut ajouter une forte suspicion des lobbies. Ainsi, la vaccination des bébés à la naissance contre l’hépatite B ne pourrait, selon lui, s’expliquer que par les intérêts du groupe pharmaceutique Merck. Les maladies chroniques aux États-Unis seraient expliquées par des produits chimiques envoyés par les avions pour nous rendre malades, ou le fluor dans l’eau. Cette combinaison anti-science, anti-lobby est d’autant plus nocive que le lobby de l’industrie pharmaceutique est effectivement puissant aux États-Unis. Elle explique peut-être cette étrange convergence de l’extrême droite et d’un mouvement anti-vax qui était dans le passé plutôt l’apanage des hippies californiens que des conservateurs.
La confiance dans la science est essentielle pour la vaccination et la santé publique : quand elle est détruite, les conséquences se font sentir pour longtemps. Ainsi, quand une fausse campagne de vaccination a été utilisée par la CIA pour confirmer la présence d’Oussama Ben Laden dans une maison au Pakistan, cela a conduit à un déclin de la vaccination dans cette région pour de nombreuses années. Kennedy vient de recevoir un mégaphone incroyable pour ses idées. Ne nous y trompons pas : les effets ne seront limités ni à la durée du mandat de Trump, ni aux États-Unis.